L’art de la surprise au service de votre management
Christophe Haag, au salon du livre de Vannes, pour la sortie de son livre « Le pouvoir de la surprise (même mauvaise!) » – Mai 2023
« La surprise, l’étonnement qui nous oblige à évoluer. » Cette citation d’Edgar Morin donne le la du dernier ouvrage de Christophe HAAG : Le pouvoir de la surprise. L’auteur dévoile les secrets de la moins étudiée des six émotions primaires. Aux côtés de ses homologues, la peur, la colère, la joie, la tristesse et le dégoût, la surprise étonne par ses facultés à nous faire progresser et à briser la routine cérébrale. En entreprise, sa puissance la rend redoutable pour désamorcer les conflits, motiver ses collaborateurs et renforcer la cohésion des équipes. Lors d’une interview, le docteur en philosophie et sciences du comportement, chercheur en psychologie sociale et spécialiste de l’intelligence émotionnelle, nous explique comment transformer la surprise en outil de management.
Les fonctions de la surprise sur notre fil émotionnel
La surprise, une émotion à part
Christophe HAAG distingue la surprise des 5 autres émotions primaires (joie, tristesse, dégoût, peur et colère) pour 3 raisons.
La surprise :
- est une émotion brève ;
- est la seule émotion qui peut être agréable ou désagréable ;
- n’est jamais célibataire, elle s’accompagne toujours d’une ou de plusieurs autres émotions. Fureur, gêne, plaisir… Charge à chacun de les décrypter pour affiner l’analyse de ses réactions et de mieux adapter son comportement à ce relief émotionnel.
Son rôle consiste à attirer notre attention pour plus de vigilance.
La surprise, formidable outil d’évolution
Si la première fonction du cerveau humain est d’assurer la survie de l’espèce, la deuxième est de le faire évoluer.
On dit que l’esprit apprécie la routine, c’est vrai pour les choses sécuritaires : un salaire régulier, un toit sous lequel dormir. Mais, fondamentalement, le cerveau a besoin de nourriture nouvelle pour s’adapter et donc vivre.
C. HAAG nous rappelle que tout héros a son adversaire. Batman lutte contre le Joker, Superman contre Lex Luthor. L’ennemi de la surprise, c’est l’ennui.
La surprise incite le mental à vouloir comprendre. En cela, elle détient un réel pouvoir de mise en mouvement, de renaissance, de catharsis.
« Tout souffle s’essouffle », énonce l’auteur. La surprise offre ce regain d’énergie généré par cette envie de rencontre vers l’inconnu. Trouver la raison et l’explication de l’étonnement.
La surprise : outil managérial de gestion de conflits
Comment utiliser la surprise en management ?
Quand un collègue provoque un conflit, il érige un mur pour y projeter sa colère. Détruisez ce mur et la colère de votre interlocuteur trébuche. Il perd ses appuis et la querelle s’effrite. C. HAAG s’est entretenu avec un expert du GIGN selon lequel, la surprise est une émotion localisée dans une zone où tout devient possible.
Très utile en négociation, la surprise peut :
- faire rire ;
- faire peur ;
- mettre en colère ;
- désamorcer une situation ou l’envenimer ;
- apaiser ou rendre fou ;
- etc.
Elle tient sa puissance, car elle permet de reprogrammer l’esprit de l’autre, elle « ouvre le champ des possibles face à soi ». Elle peut changer le rapport hiérarchique. Apprivoisée, la surprise est un outil extraordinaire y compris en management pour diminuer la densité émotionnelle d’une situation conflictuelle.
C. HAAG rappelle cependant que face à un collectif, le manager a avantage à couper court aux productions critiques et proposer un échange en fin de réunion. Cela permet à l’interlocuteur de trier ses arguments. Il effectue mentalement un travail éditorial de ses remarques, les filtre et ne conserve que les plus saillantes (donc constructives).
L’effet aïkido de la surprise dans la résolution de conflits
L’aïkido est un art martial qui se base sur la force de l’adversaire, son agressivité et sa volonté de nuire. Un manager face à un collaborateur qui cherche le conflit peut utiliser la surprise en accompagnant le geste, comprenez en adhérant au discours de son interlocuteur.
« Certes, j’entends ton point de vue. Explique-moi comment, toi, tu ferais… ».
Le collaborateur se sent écouté. Déstabilisé, il perd son animosité. Ainsi, le supérieur hiérarchique préserve la relation et établit une communication paisible et sereine dans laquelle il rappellera ses propres arguments dans un dialogue constructif. Le salarié parle alors librement, il livre ses intentions et ses besoins authentiques. Le discours s’élève. Il en ressort même souvent une fidélisation affective.
La méthode Kamoulox : déconcerter pour reprendre le contrôle de la situation
Vous souvenez-vous de ce jeu télévisé loufoque ? Kad Merad et Olivier Baroux se lancent dans un aller-retour de propositions sans queue ni tête. Cette stratégie s’avère redoutable en négociation. Par des mots flous et incohérents, le comportement bizarre du médiateur désarçonne la personne et hacke son cerveau.
On parle de mécanique de confusion ou de déstabilisation.
En situation de blocage ou de conflits, le manager peut emprunter cette méthode par quelques phrases étranges, mais compréhensibles. La surprise crée la faille. En témoignent, la bouche bée et les yeux écarquillés. C. HAAG dit que « les portes et les fenêtres de la prise d’informations sont ouvertes ». Elles se préparent à répondre au besoin irrépressible du cerveau à comprendre et trouver un repère. C’est précisément à cet instant que le manager place une phrase cohérente et suffisamment pertinente pour amener son collègue vers la conclusion choisie. Le cerveau de l’autre s’y raccroche et se reprogramme.
Cette technique fait écho à l’effet « cocktail party » défini en neurosciences sociales. Face à la confusion, le cerveau, telle une tête chercheuse, capture la moindre narration logique et se focalise dessus.
Managers, renforcez la cohésion d’équipe par l’étonnement
La motivation par la surprise
En amour, la surprise alimente la dynamique du couple. Comme une nudité psychique, elle diminue la distance émotionnelle entre les personnes. Sur le même principe, les équipes qui brisent la routine dans leurs relations professionnelles et font preuve de sincérité renforcent leur cohésion.
Surprendre ses équipes ne demande pas toujours d’idées extraordinaires. Il s’agit d’éviter la routine, les schémas répétitifs. Par exemple, un nouveau canal de communication (entrevues en lieu et place de mails) ou proposer des formations pour monter en compétences.
La surprise ouvre à la connaissance et donne envie d’en apprendre encore davantage. C’est l’effet de la noradrénaline sécrétée quand la personne est sortie de son pattern.
À noter que communiquer sur ce que l’autre fait de bien nourrit, par ricochet, la satisfaction individuelle.
Et la mauvaise surprise ?
Cette dernière met le corps en mode action pour combattre ou pour fuir. Les études menées montrent que la surproduction de noradrénaline rend l’apprentissage qui s’ensuit plus efficace et rapide. Mais le phénomène s’accompagne de réactions physiologiques délétères (accélération des rythmes cardiaque et respiratoire et augmentation de la tension artérielle). Une bonne surprise engendre les effets inverses qui relaxent la personne étonnée.
Sincérité et humilité, l’intelligence émotionnelle au service du relationnel
Imaginez, vos paroles blessent votre collègue. Ce dernier vous interpelle et vous demande des comptes. Au lieu de vous justifier, octroyez-vous le droit à l’erreur.
« C’est vrai, désolé, je n’aurais pas dû te parler ainsi ». Là encore, l’effet de surprise fait trébucher la colère de l’autre. Il peut s’interroger sur votre sincérité et vous accuser de cynisme. Mais, dans ce cas, votre authenticité le rassurera.
D’autre part, l’autodérision permet au cerveau de basculer en pensée latérale et en mode adaptatif, ce qui déclenche une sécrétion d’endorphine qui booste l’estime de soi.
La stabilité émotionnelle des managers de transition.
La surprise pour plus de réalité émotionnelle
À l’instar de toute émotion, la surprise favorise la mémorisation et intensifie les souvenirs. Ces derniers sont alors comme un album photo. À la moindre crise, perte de CA ou de partenaires, les employés se rappellent la manière dont le sujet a été traité les fois précédentes et génèrent de nouvelles idées. On retrouve les pouvoirs de la plasticité cérébrale au service de l’intelligence collective et de l’histoire unique de l’entreprise.
L’émerveillement : la surprise exponentielle
C. HAAG donne l’exemple de ce dirigeant qui, à la méthode IKEA, contraint les employés à suivre un parcours pour parvenir à leur bureau. Ils entament le chemin par un espace dédié à l’art. Quelques œuvres sont exposées. Que se passe-t-il ? Les salariés admirent, commentent et « refont le monde ». La discussion se transforme en confidences. Ils se laissent aller à l’inconnu, lâchent prise. De fil en aiguille, ils évoquent leurs problèmes, échangent et trouvent ensemble des solutions. La surprise facilite la créativité et l’innovation.
C. HAAG dit que l’émerveillement, c’est la surprise au cube.
La surprise, une réponse stratégique au bore-out
La société moderne, hyperconnectée et toujours plus rapide appelle à retrouver l’ennui, à se recentrer sur ces instants de flottement où l’esprit vagabonde et se revitalise. Mais l’ennui chronique, pour sa part, présente de réels dangers. Le bore-out est un syndrome d’épuisement professionnel dû à la lassitude et aux tâches répétitives. Il engendre démotivation, fatigue physique et psychique et baisse d’estime de soi.
Si un salarié explique à C. HAAG, qu’un CDI mérite de rester dans son emploi, malgré l’ennui, il lui répond que « le CDI professionnel est parfois un CDD de santé ». Il propose quelques pistes d’escapologie (art de se défaire de ses entraves) :
- modifier ses habitudes et se lancer des défis ;
- échanger avec sa hiérarchie sur une nouvelle carrière, une mutation, une formation… ;
- s’interroger sur le bien-fondé de sa place dans l’entreprise. Peut-être est-il temps de changer de travail ?
« On n’est jamais aussi prisonnier qu’on le croit », se confie Damien ECHOLS à C. HAAG, après 18 ans passés dans les couloirs de la mort dans l’Arkansas. On retrouve ici l’approche totale et inaliénable de la liberté, évoquée par Jean-Paul Sartre.
Susciter l’émerveillement n’est rien d’autre que d’aller là où l’on ne s’attend pas.
La surprise redonne du souffle à notre énergie.
L’ennui chronique, pour sa part :
- favorise les troubles psychosomatiques ;
- diminue l’estime de soi ;
- dérègle le sommeil ;
- procure un sentiment d’insatisfaction ;
- baisse les défenses immunitaires ;
- consume « l’envie d’avoir envie » ;
- etc.
Bonus : les bienfaits de l’intelligence émotionnelle
C. HAAG cite Bernard ANSELEM, médecin en neuropsychologie : « Être surpris parce que l’on est curieux favorise la croissance neuronale et l’activité ce qui peut diminuer le stress et être bénéfique pour la longévité de la vie ».
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus, voici quelques bonnes raisons de se laisser surprendre par la vie, mais aussi de développer son intelligence émotionnelle en général :
- neurogenèse (fabrication de nouveaux neurones, plasticité cérébrale) ;
- moins de sécrétion d’hormone du stress (cortisol) ;
- moins de maux de tête, de ventre et de dos ;
- amélioration de la qualité des relations sociales ;
- moins de toxicité pour autrui ;
- gagner en clarté. La surprise permet d’y voir plus clair pour finalement avancer et évoluer dans la vie.
L’intelligence émotionnelle : outil de management, levier de la performance collective
Et si manager par la surprise s’avérait efficace ? Sortir ses équipes de la routine, les ouvrir à de nouvelles compétences pour accroître leur soif de connaissances. Un cercle vertueux d’où ressort plus d’intelligence émotionnelle et collective au service de la performance et du bien-être.
Merci infiniment à Christophe HAAG de nous avoir accordé cet échange et de nous avoir permis d’équiper nos managers de transition d’un pouvoir supplémentaire : celui de surprendre les organisations pour mieux les accompagner dans leur transformation.
Je veux créer l’étonnement parmi mes collaborateurs, je contacte Cahra.
Sources :
Interview du 24 mai 2024 lors du Salon du livre de Vannes
L’ouvrage de Christophe HAAG : Le pouvoir de la surprise