Crise sanitaire, confinement semaines 3 et 4 : témoignages des managers de transition CAHRA
Une crise sanitaire vouée à ébranler durablement l’économie et nos modes de vie, un confinement qui se prolonge pour en limiter les effets sur la population : la France dans son ensemble, et celle du travail en particulier, encaissent le choc. Elles cherchent des solutions pour « limiter la casse », tenir le rythme ou redémarrer dans les meilleures conditions. Au cœur des entreprises, les managers de transition CAHRA participent pleinement à ces efforts. Initialement centrées sur la transformation par le management de transition, leurs missions prennent une tournure essentiellement opérationnelle. Qu’ils interviennent en production, supply chain, direction des opérations, financière ou RH, voici leurs retours d’expérience.
Après un mois de confinement, quel est l’impact de la crise sanitaire sur l’état d’esprit des équipes ?
« Anxiogène », « pesante », tels sont les termes les plus employés pour qualifier la situation de crise actuelle et la perception qu’en ont les effectifs pilotés par les managers de transition. Les inquiétudes portent sur la santé physique et sur la baisse de rémunération, inéluctable en cas de diminution voire d’arrêt de l’activité.
Dans certaines entreprises où le cœur d’activité concerne la production, pression et stress se conjuguent. Une pression exercée par des clients aux exigences fortes et, parfois, par les équipes commerciales. Un stress dû à la nécessité d’adopter très rapidement de nouveaux gestes de sécurité et de fonctionner à effectifs réduits.
À noter que tout cela s’applique aussi aux dirigeants, parfois contraints de demander à leurs équipes de reprendre le travail sans l’avoir vraiment décidé [1] ! Ils ont dû, en urgence, rédiger eux-mêmes des procédures de redémarrage précises et exhaustives.
Quant aux collaborateurs en télétravail, ils font preuve d’une grande « patience » tout en espérant une reprise prochaine du rythme normal. Il faut dire que certains exercent ce travail à distance dans des conditions éprouvantes liées à leur environnement (confinement dans des espaces restreints, avec de jeunes enfants).
Pour leur part, les managers de transition CAHRA « en présentiel » durant cette crise sanitaire font part de la charge mentale qui pèse sur eux. Car cette situation occupe « toute la bande passante », des modalités de communication spécifiques à mettre en œuvre aux sujets de conversation informelle !
Y a-t-il beaucoup de salariés absents dans les entreprises ?
On note de fait un manque d’effectifs. D’une part, les malades du Covid-19 et présomptions de cas, les salariés fragiles, les collaborateurs en arrêt « pour garde d’enfant ». D’autre part, les salariés en activité partielle, en congé payé pour ne pas perdre d’argent ou en congé sans solde pour ne pas prendre de risque.
Certaines entreprises y font face en recourant à l’intérim, en redéployant des salariés d’autres sites sur le leur et en aménageant les plannings. D’autres structures ne remplacent pas les collaborateurs absents. Les fonctions support et encadrement sont alors sollicitées en production, par exemple. Dans une entreprise, une équipe de « réservistes » a été constituée sur la base du volontariat.
Quel type de communication est actuellement mis en œuvre ?
La plupart du temps, une communication de crise a été initiée entre fin février et mi-mars. Une cellule de gestion de crise (nommée ainsi ou non) est à la manœuvre, souvent constituée du Codir.
Quotidienne dans plusieurs entreprises, la communication de crise a tendance à s’effectuer tous les deux jours dans d’autres désormais. Les informations transmises concernent la situation sanitaire, le rappel des mesures barrière et les conditions de travail. Visant à prévenir, expliquer, protéger et rassurer, les échanges se font en petits ou grands groupes. Sur site, un affichage écrit complète cette communication orale.
Globalement, les échanges inter-managériaux sont également beaucoup plus nourris. L’objectif est de bien se coordonner et d’entretenir les liens, dans un contexte multi-sites notamment.
Là où le travail sur site a continué, est-il difficile de faire respecter les gestes barrière et la distanciation sociale ?
Sur cette question, les managers de transition sont unanimes : l’activité n’a repris, ou ne s’est poursuivie, que lorsque les tâches à réaliser permettaient d’appliquer les gestes barrière. Dans certaines structures, après plusieurs semaines de retour au travail, un relâchement est toutefois perceptible. L’encadrement doit rappeler les consignes de sécurité régulièrement et réagir dès que des gestes ne sont pas respectés.
Qu’en est-il de la mise à disposition de matériel de protection ?
Le travail sur site n’est devenu possible qu’une fois les équipements essentiels réunis – gel, gants, masques en quantité variable. Car l’approvisionnement s’est avéré problématique ; certaines commandes de masques arriveront seulement mi-mai ! Une carence rapidement compensée, dans certaines structures, par la fabrication de visières à l’aide d’imprimantes 3D. D’autres ont fait le « choix » de ne pas généraliser le port du masque ; les salariés des fonctions support présents sur site n’ont pas été équipés. Le sujet revient alors régulièrement, associé à la menace de certains collaborateurs d’exercer leur droit de retrait.
Comment les managers de transition pilotent-ils-leurs équipes, à distance ou sur site ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Quelles « forces » voient-ils émerger ?
Le travail à distance requiert un mode de management spécifique, qui s’appuie sur la confiance accordée aux collaborateurs et sur le renforcement du lien social – via des échanges nourris qui ne doivent pas devenir envahissants.
Les managers de transition CAHRA portent ainsi une attention particulière à la cohésion des équipes, favorisant la solidarité entre collaborateurs et la communication sous toutes ses formes (groupes WhatsApp notamment). La visioconférence occupe une place stratégique, nécessitant de la part de « l’animateur des débats » une attention, une concentration, extrêmes. Car la relation qui se noue est différente, l’absence de proximité physique rendant plus difficilement perceptibles les réactions des interlocuteurs. Par ailleurs, si le recours aux outils digitaux ne pose aucun souci à certaines équipes, il reste délicat pour d’autres qui « s’acculturent » très progressivement.
Le management des équipes en présentiel évolue également. Encore plus ouvert sur l’humain, il cherche à valoriser « le positif » des personnes présentes. Les premiers contacts chaque matin prennent une saveur particulière, ainsi qu’une multitude de petites attentions. Précieux en toutes circonstances, les feedbacks et la valorisation des collaborateurs sont actuellement indispensables.
D’ailleurs, quid de la motivation et de l’engagement des équipes ? Ils ne semblent pas affectés. Certains managers de transition ont même noté une absence totale d’arrêts de travail ces dernières semaines ! Toutefois, la productivité est en baisse. Le respect des gestes barrière peut l’expliquer, sur site [2]. Certains salariés viennent également travailler par obligation. En parallèle, les conditions de travail à distance ne sont pas toujours réunies pour favoriser l’efficacité professionnelle. Lorsque c’est possible, les managers de transition réévaluent les objectifs de leurs collaborateurs. L’un d’entre eux considère qu’un seul objectif demeure : « parer au plus urgent et faire tourner l’entreprise ! ».
Quel est le rôle du dialogue social dans la gestion de la crise sanitaire sur le terrain ?
Informer et consulter le CSE très régulièrement s’avère capital dans cette période particulière. Du point de vue juridique et pour l’efficacité / la bonne réception des dispositions envisagées. Sachant que la qualité du dialogue social préexistant facilite la communication et la coopération entre les différentes parties prenantes de l’entreprise. Quand direction et CSE se considèrent comme des partenaires, les échanges sont détendus et constructifs. De la part de la direction, cela suppose de prendre ses responsabilités en veillant de façon stricte à la protection sanitaire dans l’entreprise. Faire preuve de compréhension et de réalisme sur les pertes de productivité est également indispensable.
Lorsque ces conditions sont réunies, les élus acceptent facilement les mesures proposées dans l’intérêt de l’entreprise : congés et RTT obligatoires ; décalage de trois mois de la date de mise en œuvre des NAO – entre autres.
Quelle sera la situation de ces structures au sortir du confinement ?
Les secteurs d’activités et configurations d’entreprises jouent un rôle majeur à cet égard, tout comme les résultats financiers préalables. Des craintes se manifestent, liées à une possible réorientation de la consommation, ou au rythme de reprise du marché dans certains secteurs et chez les fournisseurs.
Les entreprises qui pourront bénéficier du soutien du groupe auquel elles appartiennent seront sans doute moins fragilisées. Toutefois, y compris pour celles-ci, un retour à la situation « d’avant crise du Covid-19 » ne semble pas envisageable en 2020.
À ce stade, quel que soit le contexte, les managers de transition et leurs équipes ainsi que les décisionnaires des structures concernées préparent la reprise d’activité ou sa montée en puissance. Ils évaluent également quels seront les budgets à amputer pour réaliser des économies (projets, dépenses).
Alors même qu’une date de déconfinement progressif a été annoncée, les attentes des équipes, managers « fixes », donneurs d’ordres et managers de transition se rejoignent : la sécurisation de la santé et de l’emploi ; davantage de visibilité sur les conditions de reprise de l’activité selon les secteurs, afin de pouvoir l’anticiper ; des précisions sur les (nouvelles) mesures sanitaires à appliquer en entreprise [3]. La gestion de cette crise sanitaire, nourrie d’incertitudes, pèse de plus en plus à ces populations.
Article rédigé sur la base d’un questionnaire transmis aux managers de transition CAHRA (réponses recueillies entre le 14 et le 17 avril 2020).
[1] Dans les secteurs d’activités « particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale ».
[2] Dans ce contexte, certaines situations étonnent. Ainsi, des lignes de production réorganisées « à l’ancienne » procurent in fine une meilleure rentabilité.
[3] Port obligatoire d’EPI (équipements de protection individuelle), procédures internes et externes à l’entreprise, tests de dépistage, prise de température avant d’entrer dans les locaux ?